Le matériel du niveau supérieur d'occupation solutréen apporte de nombreuses informations sur la production de supports laminaires puis la confection de pointes à cran et de lamelles à dos. Une des chaînes
opératoires a pour objectif la production de supports laminaires de
grand module, dépassant souvent 15 cm. La mise en forme des nucléus
est rapide et consiste :à mettre en forme une crête antérieure et
parfois postérieure, puis à ouvrir deux plans de frappe à angle peu
ouvert par des éclats perpendiculaires au plus grand axe du rognon ou de
la dalle. Lorsque la morphologie régulière du volume initial le permet,
la surface d’initialisation est sous-corticale. Celle-ci est dans tous
les cas à carène peu marquée. Généralement les nucléus sont abandonnés à
partir du moment ou les lames produites sont de longueur inférieure à 15
cm, après un rebroussement ou un réfléchissement, même si leur module
aurait pu permettre, après une remise en forme, la poursuite du débitage
de supports laminaires ou lamellaires de plus petit module. La seconde chaîne opératoire, visant à produire des supports laminaires inférieurs à 15 cm, se distingue par le soin apporté à la préparation des talons et des flancs pour l’entretien de la carène très peu marquée, et par l’alternance plus fréquente entre les deux plans de frappe lisses, peu inclinés. L’objectif est d’obtenir des supports laminaires non corticaux, à profil rectiligne et section trapézoidale.
L'analyse morphologique des fragments de pointes à cran semble révéler deux modules distincts : l'un proche de 7 cm de longueur pour une largeur de 12 à 14 mm, l'autre, plus long (10 à 11 cm) et de largeur de 15 à 20 mm. Ces deux modules devaient être destinés à être emmanchés à l'extrémité de projectiles (sagaies). Cliquez ici pour afficher d'autres dessins de pointes à cran fracturées découvertes aux Maîtreaux. Un éventuel traitement thermique, dont la détection serait facilitée par la patine, n'est pas attesté sur les exemplaires découverts jusqu'à présent aux Maîtreaux. Cette observation vient confirmer la rareté de ce procédé technique, attesté exclusivement pour des silex tertiaires et bajociens, dans les sites solutréens du bassin versant de la Creuse. Dans le cas des plus
petites pointes, la retouche du cran est effectuée dans un
premier temps et ce n'est qu'ensuite que la retouche plate des bords de
la pointe est réalisée. La majorité des accidents semblent intervenir à
ce moment et paraissent liés à des zones de faiblesse des supports. La
plus forte représentation des fragments de petites pointes ne correspond
probablement pas à la réalité de la production, mais plutôt à la plus
grande fréquence des accidents lors d'une confection sur des supports
graciles. La découverte dans un
même secteur de plusieurs pointes à cran fracturées au cours de la
retouche par pression évoque une répartition spatiale des chaînes
opératoires de production et d'utilisation de ces pointes lithiques.
Les fouilles de 2002 ont mis au jour
deux
fragments de lames retouchées qui auraient pu être des pointes à
face plane, cassées avant d'avoir été achevées. Ce type de pointe
avait déjà été retrouvé associé à des pointes à cran sur d'autres sites
régionaux.
Les lamelles à dos ont été trouvées sur une aire restreinte du site (en limite des carrés N10 et N11, O11 et N9). Ces objets ont été interprétés à partir d'études fonctionnelles, comme pouvant armer des sagaies à rainure, connues dans les contextes solutréens du Sud-Ouest de la France (Geneste et Plisson, 1986). Pour plusieurs exemplaires, les fractures, l'absence d'endommagement du tranchant et de stigmates d'impact indiquent plutôt une cassure accidentelle lors de la confection du dos. Deux lamelles parfaitement intactes, dont la morphologie est comparable à celle des fracturées, ont aussi été abandonnées sur le site. Il est donc difficile d'interpréter ce groupe d'objets de manière satisfaisante.
Un des intérêts majeur du site provient du fait que l'ensemble des phases du façonnage de feuilles de laurier est présent, de la lourde préforme de plus de 50 cm jusqu'à des pièces d'épaisseur réduite, en phase terminale. Le matériel archéologique correspondant à ces chaînes opératoires comprend de nombreux éclats de façonnage et une trentaine de pièces fracturées à différents stades de leur fabrication. Deux modules distincts apparaissent : un petit module de 10 à 15 cm, produit à partir de gros éclats ou de petites dalles de silex ; un grand module dont les dimensions sont comprises entre 25 et plus de 40 cm. Si les premières sont connues sur les sites de l'abri Fritsch et à Monthaud, sous la forme de fragments portant des stigmates d'utilisation comme armatures de projectiles, le second groupe présente des fractures multiples et des phases de ravivages qui indiquent probablement un usage comme couteau (Aubry et al., 2001). Les emplacements de
fabrication des feuilles de laurier de petit module semblent en
relation spatiale avec le débitage laminaire. Le façonnage est réalisé à
partir d’un éclat cortical ou d’une grande lame, par percussion
tangentielle directe au percuteur tendre organique. Les préformes et
pièces fracturées pendant le façonnage montrent qu’il s’agit
probablement d’éclats tirés de dalles et nodules de silex prélevés à
proximité du site. Petit module de feuille de laurier montrant une cassure lors de la phase terminale d'amincissement. L'analyse des feuilles de laurier de grand module offre une connaissance très complète des procédés de façonnage qui nécessitaient la maîtrise de procédés techniques élaborés. Tout d'abord, plusieurs préformes et ébauches montrent que les dalles ont fait l’objet d’une mise en forme rapide, au percuteur de pierre, probablement sur le lieu de prélèvement du matériel brut. La morphologie de ces préformes abandonnées sans avoir été façonnées présente souvent une asymétrie ou de grosses inclusions de quartz. L'un des remontages de 61 éclats de façonnage permet ensuite de suivre le procédé de préparation des talons des enlèvements font l'objet d'une préparation différenciée avec un recentrage puis abrasion avant la percussion tangentielle au percuteur tendre organique. Les dalles de silex locales présentent en leur centre des zones d'inclusions ou de silicification plus grossières. Cette caractéristique a entraîné une adaptation du schéma de façonnage des grandes feuilles de laurier. Ainsi, dans une première étape, la phase d'amincissement de la pièce ne concerne que la partie interne de la dalle. L'objectif est de conserver pour la phase finale du façonnage la couche sous-corticale à grain plus fin. Ce procédé de façonnage dissymétrique bien que n'étant pas exclusif est majoritaire aux Maîtreaux. Les fractures des pièces foliacées proviennent soit d'une erreur du tailleur en raison d'une percussion mal assurée ou de vibrations mal contenues, soit en raison d'éléments internes à la dalle de silex (hétérogénéité, fossile ou fissure de gel). Il manque de nombreux fragments de feuilles de laurier fracturées. Ces lacunes pourraient provenir d'une réutilisation des parties les plus grandes pour réaliser des feuilles de petit module. Trois fragments de
grandes feuilles de laurier, d'épaisseur réduite et qu'il n'a pas été
possible de reconstituer, ne semblent pas correspondre à des pièces
cassées lors du façonnage. Elles portent une percussion sur l'une des
faces ou des enlèvements de burin. L'hypothèse d'un rejet de ce type
de pièce après l'utilisation, sur place ou sur un autre site, comme
couteau est à envisager et devra faire l'objet d'une analyse
tracéologique.
Le matériel solutréen des Maîtreaux ne se limite pas à ces seules chaînes opératoires. Un débitage de grands produits laminaires est présent sur la presque totalité de l'aire fouillée. Celui-ci a permis l'obtention de produits utilisés retouchés ou bruts. Les remontages
montrent que les lames ont été débitées pour la fabrication et
l'utilisation d'outils sur le site. Cette production laminaire est présente dans de nombreux amas. Les déplacements, inférieurs à quelques mètres, révélés par les remontages, concernent des lames ou des outils et sont limités à l'intérieur de chacune des unités spatiales de moins de 6 mètres carrés. Des grattoirs, des burins, des becs, des perçoirs et des grandes lames brutes aux tranchants ébréchés (ces dernières étant localisées dans le niveau inférieur), sont associés aux déchets des chaînes opératoires présentées.
Une série de 6 grattoirs et de 6 lames
ébréchées a été analysée par Hugues Plisson. Cette observation a
confirmé une utilisation, dans le cadre d’un travail sur peau sèche pour
les grattoirs, et des actions de tranchage de matières tendres sur des
supports durs pour les grandes lames (Aubry et al., 1998). En ce qui concerne les grandes lames ébréchées, une autre hypothèse a été formulée par Bertrand Walter. Certaines auraient pu servir à préparer les talons des éclats des grandes feuilles de laurier. Une expérimentation de cette méthode a été effectuée en décembre 2001. Les traces d'impacts des lames percutrices expérimentales et celles des lames découvertes sur le site semblent a priori identiques. Une analyse tracéologique devrait prochainement confirmer ou non cette hypothèse.
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Expérimentation, phase 1 - Après une grossière préparation par abrasion avec un morceau de grès, quelques percussions mesurées avec le tranchant d'une grande lame permettent d'esquiller plus finement les talons des éclats de la feuille de laurier. |
Expérimentation, phase 2 - Ainsi préparés, les éclats sont enlevés au percuteur tendre organique (ici, un bois de cerf). |
Comparaison macroscopique des traces d'impacts sur le tranchant d'une lame découverte sur le site (en haut), et celui d'une lame expérimentale (en bas). |
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